La première biographie
de tous les temps…
N’a pas été écrite…
Les premières biographies s’écrivaient… dans les mémoires !
Loin d’être un grand scientifique, je prends peu de risques avec une telle affirmation : il est quasiment certain que, durant les dizaines de milliers d’années qui ont précédé l’invention de l’écriture, les hommes ayant, chaque jour, accompli leurs travaux quotidiens, surmonté les obstacles rencontrés par leurs désirs et besoins, échappé aux mille dangers surgis d’une nature hostile et de liens sociaux pas toujours prévisibles tout en réussissant à conserver une santé équilibrée malgré une alimentation carencée, se retrouvaient, la nuit venue, le ventre plein, autour d’un feu, et parlaient entre eux.
Il n’est pas non plus insensé d’imaginer qu’au cours de telles conversations, ils partageaient leurs expériences, se racontaient leurs exploits, réels ou imaginaires, et transmettaient aux générations qui les suivaient de précieuses connaissances pour, comme me disait mon grand-père, “faire mieux que nous”.
On peut aussi, très logiquement, supputer que certains récits, certaines personnalités marquaient les esprits plus que d’autres, qu’on leur disait :”Raconte-nous encore comment tu as tué cet ours, et aussi ce que tu as répondu au chef d’en bas de la rivière quand il est venu nous dire d’arrêter de faire nos besoins dans l’eau”. Puis le temps a fait le tri entre l’anecdotique et l’exemplaire, et c’est comme cela que sont apparus des raconteurs d’histoires professionnels, les aèdes chez les Grecs anciens ou encore les bardes chez nos ancêtres gaulois…
D’un autre côté, l’usage de l’écriture le plus ancien constaté par les archéologues concerne très majoritairement… des applications comptables. Pourtant, il peut y avoir une logique à cela : l’écriture a avant tout plus été utilisée comme preuve que comme outil “mémoriel”. Il pouvait en effet sembler peu utile d’écrire des histoires… que tout le monde connaissait et se racontait sans cesse. En outre, certaines connaissances religieuses, ou même techniques, ont longtemps été transmises oralement afin de pouvoir en contrôler la diffusion, et ainsi ne pas affaiblir leur valeur pour ceux qui en bénéficiaient.
Par contre, savoir et pouvoir attester de quantités de blé récoltées, vendues, achetées, garantir que telle portion des fruits d’un verger ou des agneaux nés après une transhumance appartiendrait à tel marchand de poteries fabriquées pour recueillir le lait, cela n’allait pas de soi. Il paraît en outre que les tablettes d’argile sur lesquelles ces précieuses informations étaient enregistrées étaient brisées une fois la dette apurée, ce qui n’a pas, près de cinq mille ans plus tard, facilité la tâche des archéologues partis à la poursuite de ces temps enfuis…
Alors comment s’est glissée la biographie écrite dans toute cette logique et ces immuables nécessités ? Par une toute petite porte, et qu’on ne franchit généralement que dans un sens : celle des tombeaux. Les tout premiers récits de vie retrouvés sont gravés sur les stèles funéraires de pharaons. Là aussi, on peut sans avoir inventé la poudre à faire sécher les testaments y voir une raison simple : pour les héritiers de ces souverains défunts, il était vital d’asseoir leur pouvoir tout neuf et encore fragile sur un puissant socle de légitimité… Et quoi de mieux pour cela que des ancêtres glorieux aux exploits gravés pour toujours dans le marbre et le granit ?
Stèle funéraire vantant les exploits de Ramsès II : assurément de quoi fonder une dynastie !
C’est donc, à mon humble avis, du service de la mémoire des rois défunts que vient notre métier, diffusé petit à petit depuis ceux qui se prétendaient “enfants des dieux”, “fils du Ciel”, “monarque de droit divin”, “aigle impérial” puis juste “Moi, Zlatan Ibrahimovic” jusqu’à toute personne ayant ouvert les yeux et pris souffle, un jour ou une nuit, sur la Terre, parmi les hommes.
Bien sûr, par ce fulgurant raccourci de plusieurs millénaires où il s’en est asséché des clepsydres, vidé des sabliers, effacé des cadrans solaires, enrayé des horloges et épuisé des piles et ressorts de montres, par ce fulgurant raccourci que je compte compléter à d’autres occasions et au fil de vos commentaires, je ne prétends à rien de plus qu’à lancer une discussion, rechercher des pistes pour ce qui pourrait devenir plus tard une véritable “Biographie de la biographie”, avec ses grandes figures, ses gloires, ses styles et ses bouleversements modernes pour, comme toujours, avant de vieillir soi-même, essayer d’en finir avec le passé…